SOUFI MON AMOUR, D’ELIF SHAFAK: Plus qu’un roman, une expérience…

Après en avoir délecté chaque page, chaque ligne, chaque mot, je me sépare, avec une certaine mélancolie, de ces personnages auxquels j’ai fini par m’attacher, le long de ce voyage.

Oui, Soufi mon amour n’est pas qu’un roman, c’est un voyage, un voyage surprenant, auquel l’on ne s’attend pas, quand on décide de poser les pieds dans ce bateau qui finit par nous transporter dans des océans intérieurs dont on ignorait l’existence, jusque-là. 

Ce livre vous transformera, un peu…beaucoup… mais il vous transformera, indéniablement. 

Au cœur de cette histoire, un homme. Incorrigible, certes, incompréhensible, certes, prétentieux, pour ceux qui ne peuvent le voir, indiscipliné, mécréant, pour beaucoup, mais un homme dont la pureté et la grandeur ne peuvent être perçus que par une âme encline vers un voyage intérieur, une âme humble, qui a ouvert son cœur à l’Amour, le Pur, le Vrai, l’amour de Dieu, l’Amour allant à Dieu, et Venant de Dieu, quelle expérience vivifiante ! Quelle expérience !

Durant ce voyage, j’ai rencontré Ella, une femme qui ne croyait pas en l’Amour, qui n’en avait jamais savouré une seule goutte. Ella la femme rigide, incroyablement fataliste, à la vie aux apparences idéale, dont le destin sera fracassé par la force de ce même sentiment, l’amour…

Un compagnon des plus agréables : Shams de Tabriz…

Shams, l’intrépide, le sage, l’insolent, qui en lui seul, est Amour. Shams aime tout, Shams aime tout le monde. Shams vit en ce monde sans y vivre. Il est connecté à l’univers entier, accepte et voit l’humain dans sa globalité, capable du meilleur comme du pire. Shams est aimé par peu, détesté par beaucoup, mais une seule réalité subsiste : seuls ceux qui ne possèdent pas le 3eme œil le prennent en aversion, et ô combien ils sont nombreux ! 

L’œil capable de poser sur n’importe quel humain un regard sage, bienveillant, humble, un regard d’amour…

Shams connait un destin hors du commun, il vit sur terre, mais est résolument centré en lui, et hors de lui. Il cherche Dieu en chaque souffle, chaque être, chaque création, chaque créature. Il cherche Dieu en lui, à travers le vent qui souffle, à travers ces nuages paresseux, à travers les feuilles d’automnes et les roses du printemps. Il prône et vit profondément le Djihadou Nafs, la lutte contre son égo…Et pour ça, il a tendance à utiliser les grands moyens. Des tests qui choquent, mais des réactions qui en disent long, sur ses interlocuteurs…

 Et oui, Shams combat l’égo, toute sa vie, il combat l’égo, et tout ce que l’égo dirige. Et l’on réalise, à travers ces jours, ces mois, ces années, durant lesquels notre regard l’accompagne, que l’être humain est totalement à la merci de son égo, que tout ce qu’on entreprend, fait, est, consciemment ou inconsciemment, guidé par notre égo. Et plus effroyable encore, presqu’aucun humain n’est épargné. Mieux, plus on monte dans l’échelle sociale, plus on en trouve. Des savants, érudits, aux rois. Tout est dirigé par l’image, la réputation, la satisfaction de son nafs. Et dans ce livre, une vérité surgit, aussi évidente que laide, la quasi-totalité des humains, fussent-ils des érudits, agit en fonction du regard l’autre…

Il est beaucoup question de réputation. Shams s’en va détruire celle de son ami bien aimé, par amour pour lui. Il s’en va détruire le respect que la communauté lui vouait. Il s’en va détruire ses croyances, ses socles, tout ce sur quoi sa vie dont tout le monde rêvait était bâtie. Et à la place du respect, survint le mépris des hommes, la médisance des hommes, le jugement des hommes ! D’érudit respecté qui ne devait pas souiller sa personne, il passa à un homme qui fréquente une taverne, achète du vin, discute avec un ivrogne et héberge une ancienne prostituée dans sa demeure. Du prédicateur adulé, il devint, aux yeux de ses plus fervents adeptes, un homme égaré. L’humain déteste l’inconnu, l’humain déteste le politiquement incorrect. Shams de Tabriz était tout cela, et exceptés ces individus que le commun des mortels méprise, peu de gens l’aimaient, peu de gens les comprenaient. Oui, exceptés le lépreux mendiant, l’ivrogne, la prostituée, et les graines de soufi, nul ne pouvait voir la beauté de son âme. A la place de ceux qui les laissent à terre, les méprisent, les humilient, les maltraitent, leur promettent l’enfer, et croient en la fatalité de leur égarement, Shams leur offre amour, regard, bienveillance, empathie, compassion et espoir. Il panse leurs blessures, physiques et émotionnelles, il est l’ami des plus vulnérables, et l’ennemi des plus puissants, et de ceux qui les servent, cherchant par là quelques miettes d’approbation…

Shams de Tabriz a transformé son ami bien aimé en une rivière d’amour. La transformation accomplie, Rumi pouvait subsister à travers le temps, les époques, et offrir au monde des flots d’amour… 

Il était descendu de sa tour d’ivoire, avait annihilé son égo, pour gouter au nectar de l’amour divin. C’est à croire que cet amour est si pur, si vrai, si puissant, que pour entrer en notre sein, tout devrait disparaitre, pour laisser place à un vide, pour que s’insuffle, dans toute sa beauté, l’Amour suprême. 

Et c’est en cela que ces mots de Rabia Al Adawiya (Soufi) résument parfaitement l’essence de ce livre :  » Je vais éteindre les feux de l’enfer, et brûler les bienfaits du paradis. Ils empêchent de cheminer vers Dieu. Je ne veux pas adorer par crainte ni pour une quelconque promesse, mais simplement pour l’amour de Dieu. »

Ces mêmes pensées ont été reprises par Shams de Tabriz dans ses nombreuses méditations…

Ella et Aziz, Shams et Rumi…

Deux destins presque semblables

4 cœurs qui vivront l’amour, cet amour enivrant, puis cet amour douloureux…

Soufi est une expérience à vivre, un voyage en soi à découvrir, c’est un SOI à découvrir…

Et contrairement à beaucoup de voyages, celui-ci ne se prépare pas, vous passerez d’une pirogue à une autre, d’un regard à un autre, comme pour voyager des esprits les plus maléfiques, à ceux les plus angéliques, mais vous ne vous ennuierez jamais. À travers tous ces regards, vous verrez la vie, l’amour, Dieu, vous, comme vous ne les aviez jamais vu auparavant…

Soufi mon amour et ses 40 sagesses sont un livre à garder, à lire, et relire, toute sa vie…

Tags

No responses yet

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *