AMOURS CRUELLES, BEAUTÉ COUPABLE

Rabia Diallo
Préface d’El Hadji Ibrahima Sall
Harmattan Sénégal
ROMANS, NOUVELLES AFRIQUE NOIRE Maroc Sénégal

Imaan est une fille des quartiers résidentiels à qui ses parents austères « assignent à résidence surveillée ». Mais avec sa copine Anna plus libre dans ses mouvements, elle va jouir de quelques instants de liberté à l’insu de ses deux « éducateurs » et va faire la connaissance fatale de Karim, un jeune homme qui prétend l’aimer. Sa vie alors nimbée d’innocence qui se bornait aux quatre murs de sa demeure explose, elle devient – et sans exagération aucune – un train en perdition dans une ville humaine…

 

Préface

 » « Amours cruelles, beauté coupable  » est une tranche de vie servie crue, avec talent, par Rabia Diallo. Tout au long du roman, la vie déroule son drame pendant que les destins, au fil du temps, se nouent. Les personnages, porteurs de destinées, choisissent des itinéraires, des voies, des chemins, souvent à leur insu, sur fond de malentendus, pour se retrouver, en fin de parcours, artisans d’une vie qu’ils n’ont pas vue, mais qu’ils ont bien façonnée.

Au fil de plusieurs chapitres, admirablement écrits et agréables à lire, trois destins au moins. Imaan, Anna, Karim : une réussite, un échec, une aventure…les deux premiers destins, dans leur radicalité, sont portés par des cœurs de femmes. Celui de Karim, ouvert vers l’extérieur, porte les traces d’internet, et d’une métisse. Etymologiquement, c’est le nom que les grecs donnaient à toutes les formes de l’intelligence humaine, au point de caractériser le héros de l’aventure humaine : Prométhée. Trois personnages, trois destins, trois temporalités : le succès se déroule sur fond de temporalité moderne, l’échec sur une temporalité traditionnelle, et l’aventure sur la postmodernité d’internet. Les plans sont superposés, et se renvoient des échos !

C’est une tragédie grecque à l’envers. Aucun sort, aucun rayon soleil qui frappe les nouveaux nés à la naissance. Aucune prédestination… Les personnages du roman ne sont héritiers d’aucune faute, ni d’aucun privilège. Que des personnes libres, souvent sans boussoles, ni balises, appelées à se débrouiller dans les méandres de l’existence. Mais des personnes dont les délibérations feront patiemment et irrémédiablement les destins.

La fin de ces parcours, aussi divers que riches, inspirent regret, repentir. En un mot toutes ces figures de l’irréversible et de la nostalgie. Le roman de Rabia Diallo est une réflexion dense sur la vie et ce qui en fait le drame : le temps. Plus que l’espace incompressible, c’est le temps irréversible qui nourrit ici les douleurs, les peines, et les souffrances.

Et si c’était à refaire se demandent tous les personnages du roman, en même temps, dans une rétrospection solitaire ?

Revenir, même sous la forme de souvenir, appartient nécessairement au devenir. Rien à faire, il est impossible de refaire, de revenir sur le cours de la vie, sur les incompréhensions qui nourrissent, entre parents et enfants, les crises d’adolescence. Revenir, c’est encore faire advenir. Le temps est toujours à l’endroit, jamais à l’envers. On ne rebrousse chemin que dans sa tête. Quand Rabia et ses personnages croient remonter le fil du temps, ils s’aperçoivent, impuissants que le temps va toujours de l’avant. Quel drame !

On sait que les personnages veulent recommencer, pour annihiler les incompréhensions, refaire son adolescence pour corriger une vie que ses parents ont tenté aussi passionnément que maladroitement de protéger. Puisque comme disait le philosophe, le commencement est comme Dieu, car il finit par tout sauver….Mais l’impossibilité de revenir n’est rien d’autre que l’impossibilité de revivre, impossibilité à la fois de rétro vivre et de revivre les événements déjà vécus ! Rajeunir, cesser de vieillir, revivre sont autant d’impossibilités que le reflux des fleuves vers l’amont. On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.

Et pourtant, l’imagination de Rabia nous y invite. C’est ici plus qu’un instrument de connaissance qui est invité. L’imagination qu’éveille Rabia, à la lecture de ses amours cruelles n’est pas un instrument au service d’une vérité. C’est bien plus. L’imagination qu’elle appelle à meubler nos vides, nos doutes, nos espérances est le lieu d’une négociation existentielle où l’enjeu essentiel est notre adhésion au monde. A défaut de nihiliser les faits du roman, on peut essayer d’en annihiler les conséquences.

Des vies comme on en a tous vécu. Faites de choix et de regrets. Et où, à la dernière minute, nous fonctionnons, individuellement, comme toutes les sociétés humaines. A trouver des boucs émissaires, autour desquels la paix intérieure sera retrouvée. Ici, le mécanisme victimaire de Rabia va désigner deux boucs émissaires les amours, dites cruelles, et la beauté, dite coupable.

Quelle audace !  »

 

El Hadji Ibrahima Sall

Ecrivain, essayiste.

 

 

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