Partout, à Dakar, des pauvres gens errent, tendent la main, nous regardant dans le blanc des yeux. Nous, en proie à la compassion, on leur donne ce que l’on a, en se demandant ce qu’est leur vie. Car, en vérité, chacun d’eux a une histoire. Une histoire assez lourde pour qu’elles finissent dans la rue, mettant de côté leur fierté, dans le but de survivre. J’en croise très souvent, et, à chaque fois, je ne peux m’empêcher de me poser cette question : comment en sont-ils arrivés là ?
Quand je voie les handicapés dans la rue, j’ai mal. J’ai mal car au Sénégal, l’avenir de l’écrasante majorité des handicapés (tous confondus), est la mendicité. Ils sont tous destinés à la mendicité car ils ne bénéficient pas de prise en charge adéquate. Ils sont alors obligés de sortir, et tendre la main pour vivre.
Il y a aussi cette catégorie de gens qui me fend le cœur quand je les croise : les personnes âgées.
Un soir, j’en avais vu un. Il devait avoir la soixantaine passée. Ses cheveux étaient tout blancs. Il était assis, chétif, les bras entourant ses genoux. Il grelottait, il faisait très froid. Après Soixante années d’existence, ne mérite-t-on pas enfin le repos, chez soi ? Pourquoi devrait-il guetter la charité des clients de la pâtisserie, pour vivre, et faire vivre sa famille, à soixante ans révolus ? Je ne pouvais me l’expliquer, j’avais juste mal, devant cette injustice de la vie. Je me suis rapprochée d’une dame qui, elle aussi, mendiait. Oui, cet homme avait bien des enfants, il avait bien des fils, mais, ils n’avaient « aucune utilité » pour le pauvre père, me dit-elle. J’en fus encore plus meurtrie, plus révoltée.
Quelque semaines plus tard, une dame, la soixantaine révolue, m’intercepta pour que j‘achète un paquet de mouchoirs. Je lui ai alors donné une pièce, sans prendre le paquet. Je la regardais s’éloigner, et la même question me revint : comment en est-elle arrivée là ? Ou est sa famille ?
Il y a une autre catégorie qui me brise le cœur quand je les rencontre : les talibés.
Ces pauvres enfants sont les abandonnés de la société. Tout le monde a démissionné vis à vie d’eux. Le gouvernement, la société civile, et, en front office, les parents. Comment un ministre chargé de l’enfance peut-il croiser ces enfants, livrés à eux même, sans prendre de suite, la décision qui s’impose : l’interdiction sans délais de cette pratique. L’enfance est sacrée, c’est l’enfance qui définit la vie, l’avenir, le destin. On apprend à ses enfants à tendre la main. On leur apprend à s’accommoder de la misère, de l’humiliation. Dans cette jungle qu’est Dakar, ils sont abandonnés, livrés à eux même et à tous ses monstres qui ne cherchent que des proies faciles, en l’occurrence eux. On les menace dans leurs daaras, ils mentent, volent, trichent, se laissent aller à la perversion, pour gagner de quoi « verser ». Il faut vraiment être cruel pour laisser son enfant de 3, 4, 5 ans et plus vivre de telles atrocités. Autant que je m’en souvienne, ce phénomène existe au moins depuis 30 ans. Je le vois depuis mon enfance. De grâce, faites quelque chose, arrêtez ces pratiques, sauvez des vies. Ces enfants ont droit à une vie normale, comme tous les autres. Quand je les voie, habillés en haillons, j’ai mal. J’en ai vu un qui portait un t-shirt d’adulte, taché de partout. Il lui arrivait aux chevilles. Pendant ce temps, je pensais à mes enfants que j’ai laissés chez moi. Cette injustice peut être réparée, de grâce, réparez là. Pensez à vos propres enfants, s’il vous plait, pensez-y.
La dernière catégorie qui me révolte, c’est celle des « Pèkhoume takussane, beug lou yomb ».
Il s’agit de toutes ces dames, jeunes femmes et fille, hommes, très bien portant qui trouve toujours l’audace de se mettre devant vous, pour vous tendre la main. Il y a tellement de petits boulots qui permettent de gérer, certes, difficilement (comme tout le monde), le quotidien, que, quand je vois ces gens-là, j’ai envie de les taper. Ils sont si bien portants que, quand on s’arrête pour donner un petit quelque chose, on assiste à un championnat d’athlétisme. Et, pour couronner le tout, on en rencontre qui tient leur bébé dans les bras, pour nous amadouer. J’ai envie de leur dire : « Yow doo wouti liguey » ? Mais je me tais. A quoi bon ? Et, je me demande : comment les gens en sont arrivés à renier leur dignité ? Quel niveau de misère faudrait- il atteindre pour en arriver à renier tout ce qui fait l’homme : l’honneur, la dignité. La honte, l’humiliation, ne leur fait plus d’effets. Et, le pire, c’est que la mendicité prend des proportions exorbitantes à Dakar.
La vie est ainsi faite. On peut avoir mal pour une chose, mais se résigner, car la justice n’existe pas sur terre. Quand on voit pire que soi, on rend grâce à Dieu. Par contre, on peut leur placer un sourire sur leur visage triste, en passant. On doit aussi se dire, que ce n’est pas une fatalité si on sait que ce fléau peut être réglé par les autorités compétentes. Vivement le jour où la misère sociale ne transparaitra plus de façon aussi flagrante !
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